« Pourquoi pas moi, un jour ?! »
Entretien avec Philippe Croizon – Par l’équipe de Feeling Alive
Au téléphone, une voix joviale décroche. Cette voix est pourtant celle d’un homme ayant traversé les pires épreuves. A 26 ans, Philippe Croizon est victime d’un dramatique accident : alors qu’il change son antenne de télévision sur le toit de sa maison, une décharge électrique de 20 000 volts le traverse de part en part. S’en suivent des mois d’hospitalisations dans le coma avec un pronostic vital engagé et un réveil terrible sans ses quatres membres…
Pourtant, il trouve la force de s’accrocher à cette nouvelle vie avec un courage et une volonté hors du commun…
C’est avec une incroyable soif de vivre et une bonne dose d’humour qu’il se livre à nous, pour notre plus grand bonheur !
Le sport a-t-il toujours eu une place importante dans votre vie?
Pas du tout. J’ai commencé le sport à l’âge de 40 ans. Avant, j’étais un vrai sportif « canapé » avec les boissons gazeuses, le paquet de chips et encourageant les joueurs de foot à la télé. Le vrai professionnel ! Même avant mon accident, je n’étais pas sportif.
J’avais pourtant ce vieux rêve de traverser la manche à la nage et à 40 ans, en étant gras comme un petit lardon et pesant environ 15 kg de plus par rapport à aujourd’hui, je me suis lancé. Il a fallu transformer la bête. En montant une équipe et en 2 ans de travail, on l’a fait !
Comment, juste après votre accident, en regardant un reportage d’une femme traversant la Manche à la nage, vous vous êtes dit « je le ferai »?
Imaginez la scène: je suis sur mon lit d’hôpital, je me réveille, je n’ai plus de bras et de jambes… Puis je décide de vivre pour mes deux garçons. Et là, je vois cette femme de 17 ans qui traverse la Manche à la nage. Sur le coup, je suis captivé par les images.
Je ne connaissais pas encore le phénomène du dépassement de soi mais je me suis dit: « Pourquoi pas moi un jour? » Ca ne m’a pas vraiment harcelé mais c’est resté dans un petit coin de ma tête. Et puis un jour, je me suis lancé en sachant que si je réussissais, je changerais ma vie pour toujours. Ce fut un leitmotiv pour moi.
Et dans votre entourage, comment la nouvelle a été prise?
Ils n’y croyaient pas bien sur, sauf Suzanna, ma compagne, qui ne savait pas dans quoi elle s’embarquait… Ce fut très dur pour tout le monde. Pendant 2 ans, je n’ai fait que manger, dormir, nager. Nous avons fait 4000 km de natation !
Je dis « nous » car c’est un travail d’équipe. Le « je » dans le sport n’existe pas pour moi. Si, un sportif de haut niveau dit « je », ça n’est pas très intéressant parce qu’autour de lui, il y a du monde: kinés, préparateurs mentaux, préparateurs physiques…
Il y avait, derrière moi toute une équipe et sans elle et Suzanna, je n’existe pas.
Comment se déroulait votre entraînement?
C’était tous les jours. Je n’avais pas le droit aux RTT !
Au plus fort, je faisais 35h de natation par semaine et 280 km par mois. Et donc en deux ans, 4000 km…
Avec un tel rythme, vous avez eu envie d’abandonner ?
Jamais ! Abandonner non ! Le doute, oui, il vous harcèle… La peur aussi, mais renoncer c’était impossible. A partir du moment où des gens vous donne leur confiance, c’est impensable !
Et puis, au fur et à mesure de l’entraînement, des personnes sont venues se greffer au projet et ça décuplait mon énergie. Il y avait toujours 99% des gens me disant que ce n’était pas possible mais il y avait ce 1% qui y croyait et qui m’a amené à la victoire. Je n’avais pas besoin de plus.
Mon équipe était là pour me soutenir mais il est arrivé à plusieurs reprises qu’elle veuille tout arrêter car elle n’y croyait plus. Au bout de 6 mois d’entrainement, la décision d’arrêter a été prise parce que j’étais en train de détruire mon corps, le cardiologue était en panique et ils avaient tous peur pour moi. Je leur ai alors demandé de me laisser 2 mois de plus. Et au bout de ces 2 mois, ils m’ont simplement dit qu’il y avait encore un an et demi de travail…
Vous avez dû trouver des sponsors. Cela n’a pas été facile ?
C’était un enfer ! J’ai clôturé mon budget 15 jours avant de partir. Pour une acceptation, j’ai eu mille refus. Je n’étais pas connu. Sans bras, sans jambes, j’arrivais en disant: « je vais traverser la Manche ». Qui pouvait me croire? Personne ! Et pourtant, certaines personnes y ont cru… Enfin, pas forcément mais le fait de leur proposer un truc complètement dingue les faisait rêver.
Une fois la traversée faite, certains m’ont dit: « c’est dingue! On voulait être avec toi car tu nous as fait rêver mais on ne pensait pas que tu réussirais ! » Ce fut une de mes plus grosses déceptions car c’était leur confiance qui m’avait porté… (Rires)
Vous vous êtes ensuite lancé d’autres défis, toujours plus fous. On dit que l’espoir fait vivre mais pour vous le challenge fait vivre?
C’est plutôt l’envie que le challenge. La Manche restera toujours ma plus belle expérience mais ensuite il y a eu de vraies aventures humaines avec la traversée des 5 continents et le Dakar. C’est toujours très difficile, mais il y a une envie folle !
Après la Manche, j’ai eu du mal à me séparer de mon équipe donc j’ai voulu continuer. Je suis parti dans un délire de vouloir relier les 5 continents à la nage et de délivrer un message: « un nageur valide et un nageur handicapé, main dans la main ou main dans le bras (rires), on est capable de faire la même chose« … Et très souvent je le disais sur le compte de l’humour aux médias du monde entier: « Vous vous rendez compte? Il y a un nageur valide qui est capable de faire la même chose qu’un nageur handicapé, c’est fort non? »
Vous dites que la Manche a été votre plus grand défi. Pourquoi ?
Parce que c’était le premier. C’était la transformation. La première victoire !
C’est d’ailleurs une histoire assez incroyable: lors de l’arrivée, il y avait 150 personnes qui m’attendaient. Nous étions 12 nageurs à avoir quittés les côtes anglaises, et nous sommes 4 à avoir réussi. En arrivant sur la côte française, il y avait un nageur valide qui arrivait en même temps que moi. Et toute ma famille, mes amis, les 150 personnes se sont précipités sur le nageur valide en croyant que c’était moi. Tous sauf deux: mes deux garçons. Eux, ne se sont pas trompés. C’est le destin ça !
Avec du recul, pensez vous que vous auriez pu vous en sortir autrement ?
Je ne sais pas, franchement. Chaque être humain est différent. Moi, je suis resté dans mon canapé pendant 7 ans et je n’ai rien fait. Je suis rentré chez moi et puis rien…
La plus grosse torture, ce n’est pas l’accident ou la rééducation mais le retour chez soi. J’avais tellement peur et honte de mon handicap que je me suis enfermé chez moi.
Je pense qu’il faut éviter de réfléchir à ce qui se serait passé.
Tout ce que je peux dire, c’est que je ne veux pas retourner à ma vie d’avant car j’aime ma vie d’aujourd’hui ! J’en ai fait quelque chose. Elle est riche, elle est pleine. Et même si on me redonnait mes jambes, je dirais non !
Vous faites des conférences sur le dépassement de soi. Quel sont vos conseils pour les autres?
Le message le plus important c’est : ose !
Ose faire les choses et surtout n’aies pas peur de demander de l’aide !
Pendant trop d’années, j’avais peur de demander un coup de main mais en réalité, c’est naturel ! Tous les gens qui m’ont aidé, les partenaires que j’ai eu, c’est parce que je suis allé au devant d’eux pour demander de l’aide et vendre mon projet. Il faut du contact humain !
Ce n’est pas parce que tu es une personne handicapée que tu es vulnérable ou que tu es pas capable… Moi, je ne me considère pas comme handicapé. Je n’aime pas ce mot d’ailleurs. Je me lève le matin, je suis Philippe ! Et je peux faire les choses comme tout le monde mais autrement !
Donc oser car il y a un temps pour tout: un temps pour pleurer, un temps pour hurler et un temps pour reprendre son destin.
C’est ce que vous dites à Théo Curin, votre « mini moi » ?
Je lui dis tout le temps et il a compris le message. D’ailleurs, il va me mettre à la retraite dans pas longtemps (rires)… Mais je l’aime énormément, il y a un vrai partage entre nous deux.
Et aujourd’hui, quel est votre prochain défi ?
Dormir ! (rires)
Il n’y pas de défi sportif pour le moment. Je suis dans l’écriture d’un spectacle. Avec mes conférences et la sortie de mon nouveau livre « Pas de bras, pas de chocolat« , on a décidé avec des producteurs de faire un one man show.
Mais tout ce qui me fait vibrer je le fais ! J’ai une conférence à la rentrée de septembre et le chef d’entreprise a décidé que nous arriverions sur le lieu de la conférence en parachute. Alors pourquoi pas ?!
Mais sinon, j’ai attaqué les petits fours… 😉