« L’Everest a changé ma vie ! »

« L’Everest a changé ma vie ! »

15 novembre 2017 They Feel Alive

Entretien avec Christine Janin– Par l’équipe de Feeling Alive

« La vie est un défi à relever, un bonheur à mériter, une aventure à tenter ». Ces mots peuvent résumer la vie de Christine Janin. Des plus hauts sommets du monde au Pole Nord, cette médecin a toujours suivi son intuition avec obstination et courage. Atteindre le toit du monde fut pour elle une expérience unique mais en redescendre fut certainement bien plus complexe. Pour Feeling Alive, elle revient sur son parcours incroyable.

Quelle est votre histoire avec le sport ?

J’ai commencé toute jeune. Pour moi, le sport a toujours été facile. Mes parents aimaient beaucoup la nature et nous ont emmenés à la montagne et à la mer très vite. J’ai skié à l’âge de 3 ans. Je jouais au foot à la récré. Je faisais beaucoup de courses en bateau ou en montagne. J’étais première en gym et j’ai commencé l’escalade à 15 ans à Fontainebleau et à Paris. Et j’ai eu 22 sur 20 au sport au bac.
Après, ça s’est enchaîné. Un jour on m’a proposé de partir comme médecin d’une expédition à 8000m, j’avais 24 ans. Je n’avais même pas fait le Mont Blanc… Et là tout s’est déclenché et ma vie a changé.

Quelle a été la suite ?

A partir du moment où j’ai fait mon premier 8000m, le Gasherbrum II en 1981 au Pakistan, j’ai ouvert un nouveau chapitre de ma vie. J’étais dans un milieu qui m’a permis de rencontrer les gens du monde des expéditions et on m’a proposé de repartir. C’est un milieu très macho mais ça ne me posait aucun problème, j’étais à l’aise. J’avais ce côté médical donc m’offrant une vraie place en tant que femme et médecin. Je ne dérangeais pas et je me faisais plaisir.

Ma vie a été un enchaînement de rencontres dans un milieu de montagne, de froid extrême et d’altitude.

J’ai donc enchaîné les expéditions avec le Baruntse II, l’Hidden Peak, le Makalu II et un jour on m’a proposé de partir à l’Everest. D’abord en 1989 avec Eric Escoffier et ensuite en 1990 où j’ai atteint le sommet.

Vous dites qu’il a fallu apprendre à redescendre de l’Everest. Comment avez vous fait ?

Tout le monde vous demande ce que vous pouvez faire de mieux et de différent après ca. J’ai enchaîné avec le challenge des « seven summits » (le plus haut sommet de chaque continent). C’était pour moi une façon de descendre de l’Everest, de transformer cette expérience et de ne pas rester dans la très haute altitude des 8000m.

C’est à ce moment que j’ai commencé à aller voir les enfants malades à l’hôpital, retrouvant quelque part mon métier à travers l’accompagnement, en me servant de l’Everest comme message. Ça donnait du sens à toutes ces expéditions en haute altitude et aussi un sens pour pouvoir arrêter et rester en vie. Beaucoup de ma génération sont morts dans l’expédition de trop. C’est important dans ce milieu dangereux et extrême, où l’on engage à chaque fois sa vie, de trouver quelque chose qui va nous permettre de rebondir. C’est ça, le long chemin de la redescente.

J’ai continué avec d’autres défis comme le Pôle Nord. En 1997, ça m’a titillée, j’y suis allée une première fois pour repérer et la deuxième fois je l’ai fait sans moyen mécanique, ni chien de traineau.

Qu’est ce qui vous a poussée intérieurement à réaliser ces exploits?

Je pense que l’on ne va pas à l’Everest par hasard mais je n’y ai pas du tout réfléchi au début. Je m’ouvrais simplement un nouveau terrain de jeu.
J’étais dans un monde d’hommes avec 4 frères dont un jumeau, tous brillants et j’avais un besoin de reconnaissance par rapport au « pater », un besoin d’amour et de prise de confiance. C’était une façon d’exister, d’être aimée, d’être vue par mes pairs.

Je pense que ces choses un peu extrêmes et extraordinaires n’arrivent pas complètement par hasard. C’était un appel vers une nouvelle mission qui m’a permis de créer À chacun son Everest !

En 1994, vous créez cette association. Quelle est son histoire et sa mission?

Au départ, c’est Hélène Voisin, Directrice de l’école à l’Hôpital Trousseau à Paris, qui m’a simplement demandé d’aller raconter mes expéditions à des enfants à l’hôpital. Ensuite, avec le professeur André Baruchel (chef du service d’hématologie-immunologie pédiatrique de l’Hôpital Robert Debré à Paris), nous avons emmené des enfants à la montagne. Le but, c’était de permettre aux enfants, en leur donnant l’objectif de l’ascension d’un sommet et à travers des activités de montagne et d’escalade, de reprendre confiance en eux, de changer le regard des autres par rapport à eux et à leur maladie.

Nous ne pensions pas durer. Et des enfants m’ont écrit: « tu m’as aidé à retrouver le chemin de la guérison, je croyais que des enfants malades ne pouvaient plus rien faire, tu nous as prouvé le contraire »…
À l’époque, ça ne se faisait pas de sortir des enfants de l’hôpital et l’après cancer n’était pas du tout pris en compte.

L’association existe maintenant depuis 23 ans et nous avons accompagné 4375 enfants. Il y a cinq ans, l’action s’est ouverte aux femmes, pour les aider aussi à transformer leur Everest, leur épreuve à travers du sport, de la montagne, de l’escalade, des soins de support, pour reprendre confiance, pour partager et avancer. Et nous avons accueilli à ce jour plus de 800 femmes.

Aujourd’hui, de nouveau, nous sommes à un virage et nous devons réfléchir à la suite.

Le sport et la médecine sont-ils intimement liés ?

Tout à fait. Ce que nous faisons dans l’association, c’est de la médecine et nous utilisons le sport comme un outil thérapeutique. Il est maintenant prouvé que le sport aide à ne pas tomber malade et aussi à guérir. Le sport, c’est bien sûr  l’effort physique, le souffle, le mental, mais nous y associons aussi la pleine conscience et la méditation. Ce sont des outils qui permettent d’accompagner la redescente après quelque chose d’aussi énorme qu’un cancer.

Quand vous parlez à ces enfants et ces femmes, que leur dites vous?

A leur arrivée à l’association, nous évoquons le parallèle « montagne-maladie » et nous leur permettons de prendre conscience de ce qu’a été leur parcours…
Nous évoquons les qualités intrinsèques qui sont nécessaires pour atteindre un sommet :  courage, volonté, patience, persévérance, entraide…

Je leur demande souvent si ça leur rappelle un chemin. Ils se regardent et répondent : « notre Everest à nous, notre combat contre la maladie« .
L’idée est de leur faire prendre conscience de ces qualités, de les aider à se les réapproprier, de redescendre et de leur permettre de vivre avec…  pour essayer de transformer cette épreuve en une force.

Y a-t-il une rencontre en particulier que vous retenez de ces 23 années?

J’en ai beaucoup !

Il y a Anthony, qui est venu il y a dix ans faire le Mont-Blanc en souvenir de ses deux collègues de chambre qui malheureusement sont décédés. Il est allé au sommet et a planté son drapeau. A l’époque on leur donnait un petit sac à dos et lui a fait deux fois le tour du monde avec ce sac. Aujourd’hui, il a 28 ans. Il est parti à Boston faire du marketing. Il y a quelques mois, il a décidé de partir au Népal aider dans l’association Bikram Solidarité Népal que j’ai créée pour venir en aide aux Népalais suite au séisme de 2015. C’est ce que j’aime dans ces histoires, cette continuité de lien qui se crée.

Il y a aussi Mathieu, un jeune qui est revenu 20 ans plus tard refaire avec des amis le sommet qu’il avait gravi à l’âge de 7 ans.
Chez les enfants, je me suis rendu compte qu’ils prenaient conscience bien plus tard de ce qu’ils avaient vécu.

Les femmes, c’est dans l’immédiat. Elles posent à peine leurs valises qu’elles sont reconnaissantes. On sent une espèce de désespoir, de peur, de fatigue, d’angoisse à leur arrivée. Le séjour les aide à partager et à se comprendre. Certaines femmes retrouvent une énergie de vie après le séjour, des envies, et prennent conscience qu’elles doivent prendre soin d’elles.

Il faut rappeler qu’une femme sur 8 est touchée par le cancer du sein. On en guérit mais c’est violent et c’est un cancer trop banalisé. C’est un cancer qui touche des femmes jeunes de 30/40 ans et c’est compliqué pour elles.

Elles guérissent de mieux en mieux mais il faut les accompagner dans cet après cancer, pour leur permettre de reprendre les rênes de leur vie.

Et le sport aide à cela?

Oui ! Le sport fait partie intégrante du parcours de soin. On essaie de remettre le corps en mouvement à travers l’escalade, la marche, le yoga mais aussi les soins de support (massage, qi kong, médiation…)
Après le séjour, beaucoup se remettent ensuite au sport, continuent de grimper, font du yoga.

Aujourd’hui, avez-vous d’autres défis personnels en tête ?

J’aime toujours aller en montagne. Je vais repartir au Népal faire un trek. Mon “Prozac” reste le ski de rando, les grandes pentes de neige vierge. J’en fais moins malheureusement, car je suis un peu usée…

Mais mon défi des prochains mois, c’est de retrouver ma liberté… (rires)

Pour en savoir plus sur ce chemin de vie: Dame de Pic et Femme de coeur, Editions Glénat

 

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